Philo
La dispute
Résumé
Conversation
On ne
sait trop où situer la dispute, sur un arc de cercle où d’un côté
apparaîtraient les modalités extrêmes du conflit, de l’affrontement, de
la bagarre,
de l’empoignade, et, de l’autre, les formes plus légères et déliées de
la bisbille, de la chamaillerie, de la prise de bec ou de la bouderie.
De la métaphysique de la guerre à la phénoménologie de la scène de
ménage ! Le mot lui-même est pourtant transparent
: il y a dispute lorsque des façons de «calculer», de juger ou de
penser (putare) se séparent, divergent (dis), s’opposent –
et que les tenants des unes non seulement tiennent pour fausses,
incorrectes, illégitimes celles des autres, mais de
plus veulent les imposer et s’irritent de ne point y réussir – et
vice-versa. Son premier sens philosophique ne contient cependant rien de
belliqueux. Dans la scolastique médiévale, la disputatio, au même titre que la lectio (lecture),
faisait
partie intégrante du système d’enseignement, et représentait une
modalité formelle de débat, utilisée pour éclairer une question épineuse
ou élaborer des théories, philosophiques, scientifiques et surtout
théologiques. Sans doute est-ce le verbe disputer qui
a fait entrer dans son giron quelque vent violent : disputer c’est
punir, réprimander, gronder, parfois férocement, et si l’on se dispute
quelque chose, une balle, un titre, un honneur, une victoire, une place,
un héritage, c’est qu’on se bat pour l’obtenir,
par tous les moyens, coups de poings et procédures judiciaires, coups
de fusils, coups fourrés et subtiles stratégies. Mais de toutes les
formes de litige, la dispute est celle qui a su rester la plus light,
et s’est gardée de… disputer à l’émeute,
à la révolte, à l’affrontement, à l’insurrection, la tâche de se lever
quand justice et liberté sont en danger. Aussi s’est-elle fait une place
bien en vue, parfois bruyante, au sein même des relations quotidiennes
entre individus, enfants, camarades de classe,
voisins, voyageurs, automobilistes, amis, amoureux, conjoints. Les
enfants jouent, se chamaillent et jouent de nouveau. Les amants
s’aiment, se disputent et s’aiment de nouveau. C’est que la dispute –
quelques cris, une porte qui claque, de lourds silences,
une valise qu’on fait semblant de préparer – est à la relation
amoureuse ce que la diastole et la systole sont au cœur. Celles-ci se
contractent et se relâchent, assurant la circulation du sang, l’autre
serre, bloque, énerve, exaspère la relation amoureuse
pour la desserrer, la dynamiser, la rendre encore plus vive. Par la
dispute les gens qui s’aiment, d’amour ou d’amitié, se rapprochent pour
s’éloigner et s’éloignent pour se rapprocher – donnant au sentiment son
rythme et sa voie, jamais monocorde, jamais
rectiligne.
Distribution & Technique
Intervenants :
Monique Canto-Sperber, philosophe
Maxime Rover, philosophe et historien de la philosophie
Robert Maggiori, membre fondateur, philosophe
Philippe Corcuff, sociologue et politologue
de 19h à 21h
ENTRÉE LIBRE EN FONCTION DES PLACES DISPONIBLES
réservations : www.philomonaco.com